Une pièce matériaux de la compagnie Les Illuminations
* collaboration artistique d’Anne Dubos et Jacky Katu, en résidence au 6B à St Denis (93)
“Ne devient pas fou qui veut” J.Lacan
J’ai dit : “J’ai envie de voir Dieu”. Ils ont dit : “Qu’est-ce que Dieu?”.
La pièce-matériau « Asile » est une histoire de fou au sens propre : quelques personnes dites « folles » et « fous » dans le langage de tous les jours, se sont enfermés volontairement dans un asile désaffecté, pour vivre librement et sans entraves leurs folies, leurs névroses et leurs psychoses.
Certes, ils souffrent d’une certaine depersonnification, mais ils ne s’en cachent pas. Qui suis-je ? Qui es-tu? Qui est là? Être moi pour eux, c’est déjà être ailleurs. Un je ? Un tu ? Un il ? Un moi ? Un toi ? Un lui ? Ou personne ? Ou quelqu’un d’autre ? Qu’importe.
De ce fait, les rencontres entre eux, quand elles ont lieu, sont des collisions de chair, de corps et d’esprits qui piochent dans la palette des sentiments : dégoûts, colères, dénis, pulsions sauvages, désir de possession, cruautés, abandons, douceurs, violences.
Toutes ces pulsions, impulsions, répulsions se mêlent, s’entremêlent et se succèdent parfois à toute vitesse chez une même personne, s’entrechoquent et se contredisent.
Leurs corps se débattent rageusement avec un ennemi invisible qu’ils ne contrôlent pas.
Chez chacun, envers soi ou/et contre l’autre et les autres, il y a du venin et de la cruauté, mais aussi de l’humour, des moments d’effroi et des moments de relâchement, quand on ne bascule pas dans le chaos.
De temps à autre, les filles se livrent contre les garçons à un déchaînement forcené d’agressivité qui n’a rien de volontaire. Elles ne cessent de leur hurler dessus, de les injurier, d’éructer des ordres, de les punir et de les humilier.
À l’occasion, « folles » et « fous » se mettent à danser spontanément ou du moins créent des langages gestuels qui ne sont ni des codes, ni des imitations, mais qui agissent comme une langue autonome et compréhensible.
À d’autres moments, ils se confessent chacun à leur tour tandis que les autres les tournent en dérision.
Cela se termine par une désarticulation ou ils ressemblent à des fantômes démembrés ou à des marionnettes actionnées par des fils invisibles.
Ces multiples éléments qui composent la piéce-matériau « Asile » ne constituent d’aucune façon une histoire, c’est-à-dire une narration linéaire avec un début, un milieu et une fin, mais plutôt une sorte de récit rhizomatique, sans début, ni milieu, ni fin, avec des condensés d’affect, des inclusions polymorphes (récit, objet, film), entre réalisme cru et fantaisie surréaliste, qui forme malgré la fragmentation, une base continue de sens organisés autour de la folie et de l’asile.
Ma seule ambition avec ce spectacle comme avec les précédents, c’est de mettre en scène l’intensité de la réalité du sensible, et de participer à une subversion silencieuse en réhabilitant une forme d’opacité en opposition avec la transparence imposée de la société libérale. Avec ces gestes pris dans leur fragilité et leur « étrange inquiétude », il s’agit de dérober le spectateur à la dictature de la transparence.
(Jacky Katu).
“Loin que la folie soit pour la liberté une insulte, elle est sa plus fidèle compagne, elle suit son mouvement comme une ombre. Et l’être de l’homme non seulement ne peut-être compris sans la folie, mais il ne serait pas l’être de l’homme s’il ne portait en lui la folie comme limite de sa liberté” “(J.Lacan).



